« Verser des larmes de crocodile » : origine et signification

Désignant une manifestation émotionnelle fausse, non-sincère ou hypocrite afin de tromper, l’expression « verser des larmes de crocodile » remonte à des légendes antiques et des observations faites par de grands explorateurs.

Signification :

  • feindre la tristesse pour obtenir quelque chose;
  • faire semblant de pleurer pour émouvoir et tromper;
  • pleurer pour obtenir quelque chose;
  • pleurer de manière hypocrite, sans ressentir la moindre tristesse.

Origine :

Mesurant jusqu’à 6 m de long et pouvant peser 1 t, le crocodile du Nil, l’un des plus grands reptiles vivant sur Terre, fait l’objet de nombreuses légendes en Egypte. L’une d’elles remontant à l’Antiquité raconte que le crocodile du Nil feignait de gémir de tristesse pour attirer ses proies naïves, avant de les croquer.
Au Ier siècle ap. J.C., un proverbe attribué à Plutarque compare à un crocodile la personne qui espère ou qui cause la mort de quelqu’un, tout en compatissant publiquement pour lui.

Au IVe siècle, le théologien Asterios le Sophiste encourage le chrétien durant le Carême à se comporter comme un crocodile repentant, à imiter « les crocodiles du Nil qui se lamentent sur la tête des hommes qu’ils ont dévorés et pleurent sur leur crime. » Au XIVe siècle, un poème en latin de Pamphile-Maurilien évoque l’amour entre Pamphile et Galatée de la façon suivante : « Pendant que le crocodile verse des larmes, il s’apprête à détruire d’une gueule sanglante. »

Le fait que la notion de « larmes de crocodile » se retrouve dans toutes les langues d’Europe occidentale serait imputable à la diffusion très large du Livre des merveilles du monde de l’explorateur anglais Jean de Mandeville. Ce dernier ayant effectué des voyages en Afrique et en Asie au XIVe siècle, faisait autorité à son époque, rapportant notamment que : « En Afrique, au pays des Egyptians, proche la seconde cataracte du Nil, habitent, parmi les roseaux, d’énormes lézards de trois toises et plus de longueur, de figures difformes et de mœurs sanguinaires, dont le seul métier est, quand ils ne dorment pas étendus au soleil sur la vase chaude, de guetter les hommes et les animaux qui se hasardent sur les bords du fleuve, pour s’en saisir et les dévorer…Nonobstant leur aspect farouche, leur voracité insatiable, et la dureté telle de leurs écailles que point ne sauroit la percer un robuste archer de son vireton le plus aigu, ces animaux féroces sont pourvus d’une sensibilité exquise ; à ce point que souventes fois les ai moi-même ouys geignants ou se lamentants es rozeaux, poussants des sanglots qui semblent mugissement de bœufs, et versants, ainsi qu’il m’a été assuré, larmes qui jaillissent du pertuis de leurs yeux, comme de pommes d’arrosoirs. « Maintes foys, continue le naïf conteur, au dire de mes guides, gens réputés pour leur prud’homie et leur grande honnêteté, aucuns voyageurs, trompés par l’effusion de ces larmes, et s’assurant que tant de gémissements ne pouvoient provenir que de coeurs vrayment marris de tant de crimes et assassinats, s’estant voulu approchier des pélunques èsquelles se tiennent ces grands lézards, furent eux-mêmes saysis et méchamment dévorés par ces traîtres et hypocrites qui pleurent non par douleur vraye de leurs péchiés, mais par feintise pour engaigner les trop crédules, et bien et commodément se remplir le ventre en les dévorant. » A la suite de cette évocation, de nombreux bestiaires médiévaux vont illustrer l’idée que le crocodile pleure après avoir mangé l’homme.

Certaines recherches scientifiques évoquent le fait que les crocodiles possèderaient des glandes lacrymales s’activant lorsqu’ils restent longtemps hors de l’eau ou durant l’alimentation. Chez les alligators américains en particulier, la salivation s’activerait en même temps que les larmes.

Chez l’homme, le “syndrome des larmes de crocodile” correspond au trouble se manifestant chez l’homme par la sécrétion abondante de larmes au moment de la mastication.

L’expression :

Dès l’Antiquité, le fait pour une personne de désirer ou causer la mort de quelqu’un, tout en se lamentant publiquement pour lui, était comparé au comportement du crocodile. Différentes formules en grec ou en latin sont utilisées en ce sens. Une interprétation chrétienne en est donnée au IXe siècle dans un passage de la Bibliothèque de Photios, illustrant le concept de repentance.

La première occurence de l’expression actuelle remonte au XVème siècle dans les Proverbes du byzantin Michael Apostolius avant de se diffuser dans la France de la Renaissance (« pleurer des larmes de cocodrille » en ancien français).

Que ce soit sous la forme « pleurer des larmes de crocodile » ou « verser des larmes de crocodile », cette expression peut signifier au sens propre « pleurer de manière hypocrite pour émouvoir  » mais aussi « se plaindre ou simuler pour tromper » au sens figuré.

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