La dictée de Mérimée, dictée la plus difficile de la langue française

La dictée faisait partie des passe-temps de la cour de l’empereur Napoléon III. La dictée de Mérimée fut écrite et dictée en 1857 par Prosper Mérimée à la demande de l’impératrice Eugénie afin de distraire la cour. Napoléon III aurait fait 75 fautes, l’impératrice 62, Alexandre Dumas fils 24, Octave Feuillet 19 et Metternich fils, ambassadeur d’Autriche, 3. À l’annonce des résultats, Alexandre Dumas se serait tourné vers Metternich pour lui demander : « Quand allez-vous, prince, vous présenter à l’Académie pour nous apprendre l’orthographe ? ».

Cette dictée est réputée être la plus difficile de la langue française, la version de 1990 prenant en compte la nouvelle orthographe en supprimant de nombreux pièges.

La version originale publiée par Léo Claretie en 1900 :

« Pour parler sans ambiguïté, ce dîner à Sainte-Adresse, près du Havre, malgré les effluves embaumés de la mer, malgré les vins de très bons crus, les cuisseaux de veau et les cuissots de chevreuil prodigués par l’amphitryon, fut un vrai guêpier.
Quelles que soient, et quelque exiguës qu’aient pu paraître, à côté de la somme due, les arrhes qu’étaient censés avoir données la douairière et le marguillier, il était infâme d’en vouloir pour cela à ces fusiliers jumeaux et mal bâtis, et de leur infliger une raclée, alors qu’ils ne songeaient qu’à prendre des rafraîchissements avec leurs coreligionnaires.
Quoi qu’il en soit, c’est bien à tort que la douairière, par un contresens exorbitant, s’est laissé entraîner à prendre un râteau et qu’elle s’est crue obligée de frapper l’exigeant marguillier sur son omoplate vieillie. Deux alvéoles furent brisés ; une dysenterie se déclara suivie d’une phtisie, et l’imbécillité du malheureux s’accrut.

— Par saint Martin ! Quelle hémorragie ! s’écria ce bélître. À cet événement, saisissant son goupillon, ridicule excédent de bagage, il la poursuivit dans l’église tout entière. »

— Prosper Mérimée


Les pièges à éviter

ambiguïtéissu de l’adjectif ambigu au masculin et ambiguë au féminin
Sainte-Adresse « Saint » ou « Sainte » est relié au nom qui suit par un trait d’union dans les noms de rues, de places, de villes. Lorsqu’il s’agit d’un saint, le trait d’union est supprimé.
effluvenom masculin, « embaumés » est un participe passé employé comme adjectif qui s’accorde en genre et en nombre avec effluves.
embaumésparticipe passé employé comme adjectif qui s’accorde en genre et en nombre avec effluves
cuisseaupartie du veau, coupée en deux, qui prend en dessous de la queue et va jusqu’au rognon, et comprenant le quasi, la culotte, la noix pâtissière, la sous-noix et le jarret
cuissotcuisse de gibier de forte taille
quelles que soient… les arrhes« quel que » s’écrit en deux mots lorsque la locution est immédiatement suivie d’un verbe d’état. « Quelles que » est une locution conjonctive de concession, suivie du verbe être au subjonctif ; « quel » s’accorde donc avec le sujet du verbe être
quelqu’exiguës qu’aient pu paraître… les arrhes « quelque » s’écrit en un mot devant un adjectif, un nom ou un adverbe. « Quelque … que » est une locution conjonctive de concession, suivie d’un verbe au subjonctif
le verbe « devoir » prend un accent circonflexe lorsqu’on peut le confondre avec « du », partitif (une partie d’un tout) ou préposition (pour « de le »)
donnéesparticipe passé employé avec l’auxiliaire « avoir » qui s’accorde avec « arrhes » (nom féminin pluriel) puisque le COD est placé avant le « avoir données »
censésadjectif qualificatif attribut de « douairière et marguillier », sujet inversé avec lequel il s’accorde. Ne pas confondre « censé » qui signifie « supposé », alors que « sensé » signifie « avoir du bon sens ».
infâmea un accent circonflexe, mais « infamie » et « infamant » n’en ont pas
mal bâtisl’orthographe en un mot « malbâtis » plus ancienne est autorisée
coreligionnairespas d’accent sur le « e » de « core- », mais on peut le prononcer « core » ou « coré »
quoi qu’il en soitne pas confondre « quoi que » et « quoique » (« quoique » peut être par « bien que »)
« La douairière s’est laissé entraîner »le participe passé « laissé » est suivi d’un infinitif, entraîner. Lorsque le sujet ne fait pas l’action de l’infinitif, le participe passé est invariable.
exigeant l’adjectif et le participe présent ont la même orthographe, contrairement à « divergent » (adjectif) et « divergeant » (participe présent), émergent / émergeant, convergent / convergeant
omoplate vieillienom féminin. L’adjectif possessif « son » est ici féminin (euphonie devant une voyelle), remplaçant « sa » pour éviter l’hiatus « sa omoplate »
alvéolesalvéoles est ici au masculin. La forme masculine était plus usitée jusqu’au début du XXe siècle, le féminin étant aujourd’hui plus répandu
dysentrieentre deux voyelles, le « s » ne se prononce pas [z] mais [s]
imbécillitéil faut bien mettre deux « l » à « imbécillité » (contrairement à « imbécile » qui n’en prend qu’un)
« s’accrut »ne prend pas d’accent circonflexe sur le u, « accroître » étant différent du verbe « croître »
bélîtrel’ancienne orthographe (jusque dans la première moitié du XXe siècle) omettait l’accent aigu sur le « e ». Selon l’orthographe traditionnelle, la finale « -itre » ne prenait l’accent circonflexe que dans les trois mots suivants : bélître, épître, huître.
tout entière « tout » ayant valeur d’adverbe est invariable. Pour raison d’euphonie, « tout » devient « toute » lorsqu’il se trouve devant une consonne ou un h aspiré mais, reste invariable devant une voyelle ou un h muet

La version appauvrie avec la nouvelle orthographe de 1990 :

La dictée d’origine intégrant la nouvelle orthographe (les mots en gras étant les termes modifiés) perd de sa difficulté et de son intérêt.

« Pour parler sans ambigüité, ce diner à Sainte-Adresse, près du Havre, malgré les effluves embaumés de la mer, malgré les vins de très bons crus, les cuisseaux de veau et les cuisseaux de chevreuil prodigués par l’amphitryon, fut un vrai guêpier.

Quelles que soient, quelque exigües qu’aient pu paraitre, à côté de la somme due, les arrhes qu’étaient censés avoir données la douairière et le marguiller, il était infâme d’en vouloir, pour cela, à ces fusiliers jumeaux et malbâtis, et de leur infliger une raclée, alors qu’ils ne songeaient qu’à prendre des rafraichissements avec leurs coreligionnaires.

Quoi qu’il en soit, c’est bien à tort que la douairière, par un contresens exorbitant, s’est laissé entrainer à prendre un râteau et qu’elle s’est crue obligée de frapper l’exigeant marguiller sur son omoplate vieillie.

Deux alvéoles furent brisés ; une dysenterie se déclara suivie d’une phtisie et l’imbécilité du malheureux s’accrut.

— Par saint Martin, quelle hémorragie ! s’écria ce bélitre.

À cet évènement, saisissant son goupillon, ridicule excédent de bagage, il la poursuivit dans l’église tout entière. »

Prosper Mérimée

Un commentaire

  1. […] La dictée du « Diable » est une dictée-piège proposée par René Thimonnier dans ses ouvrages Le Système graphique du français et Code orthographique et grammatical (C.O.G), couronnés par l’Académie française.En avant-propos du C.O.G, l’auteur indique que cette dictée fut publiée en premier par Le Figaro littéraire du 3 juin 1965 pour illustrer une interview sur ses recherches. Le signataire de l’article faisant 21 fautes qualifia cette dictée de « diabolique », d’où le nom de dictée du «Diable ». Par son thème et son texte, cette dictée a l’originalité d’offrir un éclairage sur la pensée de l’auteur concernant l’orthographe, plus rationnelle qu’il n’y paraît. L’auteur propose une pédagogie basée sur un apprentissage raisonné de l’orthographe. Toutes les difficultés se trouvant dans la dictée relèvent de la langue courante. L’auteur se place « dans la lignée de la célèbre dictée de Mérimée« . […]

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