La dictée du Diable : une dictée-piège d’anthologie

La dictée du « Diable » est une dictée-piège proposée par René Thimonnier dans ses ouvrages Le Système graphique du français et Code orthographique et grammatical (C.O.G), couronnés par l’Académie française.
En avant-propos du C.O.G, l’auteur indique que cette dictée fut publiée en premier par Le Figaro littéraire du 3 juin 1965 pour illustrer une interview sur ses recherches. Le signataire de l’article, faisant 21 fautes, qualifia cette dictée de « diabolique », d’où le nom de dictée du «Diable ». Par son thème et son texte, cette dictée a l’originalité d’offrir un éclairage sur la pensée de l’auteur concernant l’orthographe, plus rationnelle qu’il n’y paraît selon ce dernier. L’auteur propose une pédagogie basée sur un apprentissage raisonné de l’orthographe. Toutes les difficultés se trouvant dans la dictée relèvent de la langue courante. L’auteur se place « dans la lignée de la célèbre dictée de Mérimée« .

« Les Français disputent à l’envi de leur orthographe. Qu’elle ait fâcheuse réputation, on n’en saurait douter. Qu’on n’en conclue pas qu’elle est illogique. Quelques problèmes qu’elle pose (et ils sont nombreux), quelles que soient les difficultés qu’elle soulève, quelque embrouillées qu’en paraissent les règles, elle n’exige qu’un peu de travail et de méthode. Les grammairiens ne se sont pas seulement donné la peine de la codifier : ils se sont plu à la rendre accessible. Quoi qu’on en ait pu dire, le travail auquel ils se sont astreints n’a pas été inutile. Les efforts qu’il a coûtés, les recherches qu’il a nécessitées ne doivent pas être sous-estimés. Que ce soit ignorance ou laisser-aller, beaucoup trop d’élèves tombent sans remords dans les traquenards de l’écriture. On hésite maintes fois avant d’écrire les infinitifs accoter, accoster, agrandir, agripper, aggraver, alourdir, aligner, alléger, apurer, aplanir, aplatir, appauvrir, etc. On s’embrouille fréquemment dans les suffixes : ceux par exemple d’atterrir et amerrir; de tension et rétention ; de remontoir et promontoire ; de prétoire et vomitoire ; de vermisseau, souriceau, lapereau, bicot, et levraut; de trembloter, toussoter, crachoter, frisotter, ballotter, grelotter; de gréement, dévouement, repliement, éternuement, braiment, châtiment; de gaiement, gentiment, éperdument, ambigument, dûment, crûment, etc. Qu’on ne croie pas ces distinctions injustifiées. Quoiqu’on n’en voie pas toujours la raison sur-le-champ, on n’en saurait vraiment diminuer le nombre qu’aux dépens de la clarté. Hormis quelques-unes, elles ne sont dues qu’au souci de distinguer graphiquement les particules homonymes. Les quelque quatre mille familles de mots qui figurent dans notre lexique sont, au surplus, régulières. Le radical y apparaît constamment sous la même forme. Certaines font néanmoins exception : celles notamment où l’on trouve les mots baril, baricaut ; combattant, combatif, cantonade, cantonal ; charroyer, charretée ; encolure, accolade ; déshonorer, déshonneur ; irascible, irrité ; occurrence, concurrence ; follement, affolement ; prud’homie, prudhommesque ; persifler, sifflotement ; insuffler, boursouflure ; consonance, dissonance ; imbécile, imbécillité, etc. Quant aux désinences verbales, elles sont parfois difficiles à appliquer. Sachons écrire sans hésitation celles de l’impératif (va, cueille, tressaille), du subjonctif (que nous criions, fuyions, ayons, soyons), du futur (j’avouerai, tu concluras, il nettoiera, j’essuierai, tu tueras, nous mourrons, vous pourrez), du présent (je revêts, tu couds, il geint, je répands, tu feins, il résout, je harcelle, tu râtelles, il martèle, je cachette, tu époussettes, il furète, j’écartèle, tu halètes, il cisèle, etc.) Ce texte, où l’on n’a voulu citer que des mots du vocabulaire courant, montre que notre orthographe est souvent compliquée, voire ambiguë, sinon arbitraire. Mais elle est inséparable de la langue. Même les écrivains lui restent attachés. Ils sont pourtant, plus que d’autres, en butte à ses tracasseries, c’est-à-dire plus souvent exposés à tomber dans ses chausse-trapes. Quoi qu’en pensent ses détracteurs, elle est affaire, tout à la fois, de réflexion et de mémoire. Ses subtilités même(s) imposent une salutaire discipline. Quels que soient les efforts qu’elle exige, il faut bien qu’on l’acquière. N’est-elle pas, comme le dit Sainte-Beuve, «le commencement de la littérature» ? »

Référence :

Ce texte se trouve aux pages 411-412 du livre de R. Thimonnier : Le code orthographique et grammatical, coll. Marabout service – Savoir pratique.


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